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Entrevue avec les éditions de Londres

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Il y a quelques semaines, un communiqué de presse des éditions de Londres a attisé ma curiosité. Avec le roman Les vies de Steve, cet éditeur numérique francophone annonçait en effet une collaboration commune entre un éditeur numérique et un éditeur papier (à savoir les éditions Kailash), pour la publication d’un même livre.

Il n’en a pas fallu plus pour que je me décide à poser quelques questions à ce sujet au principal intéressé. J’ai ainsi eu la chance de pouvoir interroger Vincent Potier, fondateur des éditions de Londres. En ressort une interview dans laquelle il présente le projet éditorial des éditions de Londres mais détaille également le paysage éditorial actuel et nous en dit plus sur ce partenariat avec un éditeur papier.

Logo édition de Londres

LSN : Bonjour, et merci d’avoir accepté ce petit entretien ! Pour commencer, et si vous nous présentiez les éditions de Londres et leur projet éditorial ?

Vincent Potier : Les Éditions de Londres est une maison d’édition numérique créée en 2011. Nous avons voulu faire quelque chose de différent. Le paysage de l’édition française ne nous plaisait pas. À quelques exceptions près, nous sommes surtout frappés par le formatage de ce qui se publie : romans et essais, pas de nouvelles ni de poésie, la moitié par des journalistes qui ensuite utiliseront leurs confrères pour en faire la promotion, des éditeurs qui prennent des risques avec des nouveaux auteurs à condition que l’écriture soit lisse, connue, familière au public.

Le résultat, ce sont des milliers et des milliers de livres sortis par an, dont la moitié des exemplaires finiront au pilon, un manque de créativité criant, une perte d’originalité de la production littéraire française depuis plus de quarante ans, avec quelques exceptions bien connues qui traversent encore les frontières. Alors, notre projet éditorial s’est fondé sur une volonté de ne pas reproduire les schémas déjà existants et qui nous semblent promis à une mort lente : nous nous réclamons d’une tradition de libres-penseurs, qui date du siècle des Lumières mais dont les origines remontent au seizième siècle. Nous voulons retrouver un mélange des genres, publier des choses surprenantes, qui interpellent, qui agacent, qui perturbent le lecteur habitué à la même soupe soporifique qu’on lui sert depuis des années. En gros, nous voulons renverser le cercle centripète de l’édition et la rouvrir au monde, nous voulons une édition ouverte.

   Editions de Londres

Consultez le site internet des éditions de Londres pour plus d’informations sur cette maison d’édition atypique.

LSN : Pourquoi avoir choisi de publier des livres numériques ?

Vincent Potier : Le modèle économique de l’édition est cassé. Il tient par la volonté de douze mille libraires acharnés et que nous admirons, des milliers de petits éditeurs qui rament et des gros vivant en partie de subventions, en partie d’un modèle financier qui consiste à lancer des nouveaux livres quand arrivent les retours, il tient par les journalistes qui parlent de livres qu’ils n’ont pas lu en espérant être publiés par les éditeurs auxquels ils ont donné un coup de pouce.

C’est un cercle fermé et j’insiste sur le mot « fermé ». Ne vous méprenez pas, il y a un nombre incroyable de gens passionnés par ce métier et qui donnent leurs jours et leurs nuits par amour de la littérature, mais il y a aussi les autres… Le livre numérique, qui ouvre de nouveaux possibles, en termes de lancement, de cycles, de promotion, nous semblait un chemin évident pour faire de l’édition autrement.

LSN : Votre politique éditoriale se situe à contre-courant de l’édition française actuelle. Le choix de la publication numérique a-t-il fait partie de cette volonté de se démarquer ?

Vincent Potier : Oui, tout à fait. Et ce n’est pas facile tous les jours. La part des livres numériques dans l’édition française se situe seulement à 2%. C’est minuscule quand on compare aux 12% ou 15% au Royaume-Uni et aux États-Unis.

Il y a un grand nombre de petits éditeurs numériques, quelques uns de taille « moyenne », et pas de gros hormis les éditeurs papier qui sont en train de faire la transition numérique. Le numérique permet d’essayer des nouveaux auteurs, des nouveaux formats, de nouveaux genres. Le numérique rouvre les portes d’un monde éditorial en vase clos, ce qui devrait produire de salutaires courants d’air.

LSN : Récemment, vous avez sorti la version numérique de Les vies de Steve, un roman de Pierre Marmiesse édité dans le même temps en papier par les Éditions Kailash. Qui a été à l’origine de cette inattendue association entre un éditeur numérique et un éditeur papier ?

Vincent Potier : Nous avons un partenariat avec les Éditions Kailash depuis deux ans. Nous avons passé une partie de leur catalogue au numérique, nous en assurons la distribution et la promotion etc.

J’ai beaucoup d’admiration pour cet éditeur, qui fait vraiment un travail extraordinaire, le travail que devraient faire d’autres éditeurs papier : un positionnement clair, des livres qui sont de beaux objets, des auteurs différents, c’est rafraichissant. Ils ont commencé il y a vingt ans, ils ont changé la perception de l’Asie dans la production littéraire française. C’est Élisabeth de Condappa qui m’a contacté et m’a parlé de ce livre. Je l’ai lu, j’ai beaucoup aimé et nous avons décidé de le lancer ensemble.

Couverture vies de Steve

Couverture de Les vies de Steve, livre publié conjointement par les éditions de Londres et les Éditions Kailash

LSN : Comment s’est déroulé cette publication à deux éditeurs ? Pensez-vous réitérer cette expérience par la suite ?

Vincent Potier : Très simplement. Nous nous sommes mis d’accord sur le manuscrit final avec l’auteur, chaque éditeur s’est ensuite concentré sur son métier, papier ou numérique, et nous avons synchronisé le lancement. Le lancement s’est fait à Paris début février. Cela s’est très bien passé. Je suis en discussion avec Élisabeth pour une prochaine coopération.

LSN : Certaines personnes ont tendance à considérer l’édition papier et l’édition numérique comme des opposés. Je suppose que les éditions de Londres n’en font pas partie. Comment voyez-vous le futur du livre et de l’édition ?

Vincent Potier : Vous avez raison, nous n’en faisons pas partie. Parler de l’édition numérique et papier comme des opposés n’est pas seulement erroné. C’est absurde. Le livre numérique est un nouveau format de l’édition, dont la mission évoluera avec le temps, la technologie et le comportement des lecteurs.

Aujourd’hui, le livre numérique marche très bien pour les classiques oubliés, pour la romance, l’érotisme, la science-fiction, le policier. Le livre numérique n’est pas là pour cannibaliser le papier, mais pour offrir un appel d’air à l’édition, comme le firent à leur époque les journaux (au dix-neuvième siècle), les pulp dans les années vingt et trente, la série noire dans les années quarante, le livre de poche etc.

Un nouveau format avec sa distribution qui lui est propre est toujours un signe de changement, de renouvellement, de démocratisation de la lecture. Dur de commenter sur le futur du livre et de l’édition sans élaborer, mais disons que le système de l’édition va s’enrichir du numérique, certains genres se vendront surtout en numérique, certains auteurs commenceront en numérique puis seront démocratisés en version papier, les liseuses ressembleront de plus en plus au papier, et les formats continueront à se multiplier, avec de grosses différences entre genres, prix, fréquences d’achat etc.

LSN : Les éditions de Londres forment certainement la plus francophone des maisons d’édition londoniennes ! Je remarque cependant que votre catalogue comporte tout de même différents classiques de la littérature anglophone, publiés dans la langue de Shakespeare. Pourquoi ce choix ?

Vincent Potier : Être basé en Angleterre et ne pas du tout publier en anglais aurait été dommage. Nous avons donc fait ce choix. Nous ferons sûrement aussi des traductions de certains de nos livres au catalogue, et puis c’est important de travailler sur plusieurs marchés, surtout des marchés à la fois aussi proches géographiquement et fondamentalement différents que les marchés français et anglais.

DR JEKYLL AND MR HYDE

L’un des nombreux classiques anglais proposés par les éditions de Londres

LSN : À propos du marché anglais, justement, avez-vous l’impression que le marché anglophone de l’édition numérique est à ce point différent du marché francophone ?

Vincent Potier : Différent à un point qui est difficilement concevable… Lire sur numérique, c’est normal en Angleterre. La plupart des lecteurs lisent sur papier et ont eu une liseuse. C’est-à-dire que la grande majorité des lecteurs anglais lisent sur les deux formats. En France, cela reste un sujet de polémique. C’est incroyable mais c’est comme ça. La plupart des gens refusent encore de lire sur numérique, ne veulent pas de liseuse.

En Angleterre, le livre est un objet culturel, source de divertissement, de plaisir, de réflexion, d’inspiration, de détente, d’émoi artistique… En France, le livre est un objet sacré. On est dans le religieux. Les éditeurs numériques ont parfois l’impression d’être les Cathares, mais nous espérons ne pas finir comme eux.

LSN : Merci infiniment d’avoir pris part au petit jeu de l’interview, Vincent ! Comme le veut la tradition ici, nous allons terminer par un peu de promotion. Que diriez-vous aux lecteurs du Souffle Numérique pour les pousser à découvrir les ouvrages produits par les éditions de Londres ?

Vincent Potier : Lisez, lisez, découvrez ! La lecture est avant tout une activité individuelle, pas une activité sociale. Si c’est agréable de pouvoir parler de livres que tout le monde a lus, le livre est avant tout du domaine de l’intime, et du personnel. Lire, c’est s’enrichir de la plus belle façon, chaque livre est une transformation possible de soi. Allez voir notre catalogue et faites-vous votre opinion.



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